éloge de l'autopsie, sala san juan, école des beaux-Aarts, lleida (e)
Philippe PIGUET, "Eloge de l'autopsie", in: Catalogue d'exposition Ecole des Beaux-Arts, Lleida (E), 1997 Paraphrasant tout à la fois Borges et Foucault, on pourrait dire des dessins de Roland Schär qu'ils se divisent en: a) ressemblent à un tuyaux b) transpercés c) repliés sur eux-mêmes d) dents de scie e) pareils à des amibes f) monstrueux g) oiseaux en plein vol h) inclus dans la présente classification i) qui s'emmêlent comme des pelotes j) invraisemblables k) faits à la hâte de quelques coups de pinceau d'encre noire l) trois points de suspension m) qui essaient d'écarter le mur n) qui ne ressemblent à rien, ni de près, ni de loin. Son oeuvre procède en effet d'un principe déclinatoire qui vise tant à l'amplification diffuse de formes matricielles qu'à leur organisation en ensembles et en partitions dans cette qualité de pensée chère à l'écrivain comme au philosophe. Pour l'essentiel fondée sur le dessin, cette oeuvre connaît elle-même toutefois des déclinaisons plastiques, peintes ou sculptées, qui la confortent à l'ordre d'une permanente métamorphose, condition nécessaire et suffisante à sa propre involution. Les dessins de morphings qui en constituent le fonds - ainsi que Roland Schär les appelle, employant la forme progressive pour bien marquer le caractère dynamique de leur émergence - sont réalisés chaque fois à partir de quatre objets sans identification précise, donc inqualifiables, "un pour chauque direction de l'espace: haut, bas, droite, gauche", et du jeu de relations qui esistens entre eux. Dans un désordre certain qui est le fait de toute génération sinon spontanée du moins libre, il en résulte tout un monde d'entités insolites, sortes d'images primordiales, innées, totalement méconnues, qui appellent la nécessité d'un classement. De vieilles planches anatomiques à la reprodution de fragments d'écorchés servent alors à l'artiste comme images référentielles pour caractériser chacune des catégories de formes dans lesquelles il inscrit ses dessins. Le recours à cet appareil encyclopédique confère à se démarche une connotation savante dont Schär exploite l'ambiguité non pour leurrer l'entendement du regardeur mais pour que celui-ci exerce son sens critique au regard d'un nouvel inventaire. Ce faisant, Roland Schär vise à mettre en question ce qu'il en est de nos habitudes perceptives quant aux notions de gestion, de classement et de références si chères aux esprits cartésiens que nous sommes. Son art contribue ainsi à alimenter le débat sur "la vérité de l'image" dans ses rapprots de dépendance à "la véracité de sa rubrique" tel qu'en parle Gombrich dans L'art et l'illusion au chapitre intitulé "Le stéréotype et la réalité". La question qu'il y soulève des "limites de la ressemblance" illustre très exactement les préoccupations de l'artiste quant à la mise en valeur des régions de dissemblence qui caractérisent tel dessin de morphing par rapport à tel autre, tel groupe de formes par rapport à tel autre. Le jeu prolifératoire des formes qui règle le fonctionnement de l'oeuvre de Roland Schär fait écho à la liberté avec laquelle l'artiste joue tant des associations de mots qui prétendent les justifier que des analogies plastiques qui paraissent les avérer. Il y va en fait tout simplement d'une formidable disponibilité de la forme à s'informer, c'est-à-dire à prendre corps aux lieu et place de son émergence. Le corpus qu'il établit de la sorte s'offre d'ailleurs à voir comme une espèce de grand tableau scientifique des possibles de la forme, voire comme le tableau anatomique de la peinture elle-même. A tout le moins comme une grande table de dissection sur laquelle on déposerait - ou exposerait? - ses organes révélés. Ce que Roland Schär organise en donnant corps à ses dessins en les informant de façon hypothétique dans le corps d'une matière cireuse ou savonneuse familière d'un irresistible toucher. La sculpture, on le sait, est affaire d'altérité. L'avènement récent dans le développement de son travail de ces grands dessins à l'encre de Chine, exécutés sur film plastique, a conduit l'artiste à l'expérience d'une véritable plongée dans la matière. A vouloir anatomiser la peinture, il advient un moment sublime qui ne peut être appréhendé que dans un dépassement. Celui qu'opère cet ensemble de particules délivre non point le secret contenu dans la forme mais le flux qui l'anime à l'échelle de l'infiniment petit, au niveau même de l'atome. Il en résulte comme une coulée de signes microscopiques qui envahissent le regard, en débordant tout repère, étrangers à toute considération d'espace et de temps dans cette manière de liberté où ils émergent tout à la fois insaisissables et innommables. A la dérive en quelque sorte, sans autre but que de recouvrir un champ, que de déterminer une étendue. Qu'il s'agisse des dessins de morphing, de ces peintures d'accumulations d'objets, de ces incisions effectuées à même la peau du mur, de ces organes sculptés ou des ces mouvements de particules, l'art de Roland Schär qui procède d'une mise à vif de la peinture, le moment après quand il l'a opérée, relève somme toute du désir d'y voir de ses propres yeux.
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