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textes + quelques articles de presse Revue de presse INDE: Times of India / The Asian Age / The Indian Express Marta JAKIMOWICZ-KARLE, Elusive trails, Deccan Herald, October 28, 2002, Bangalore, India Henri-François DEBAILLEUX, "Fondu enchaîné", Libération, 9 octobre 2002 Jean VIALA, 2001, exposition de dessins à l'Ambassade de Suisse, Paris Henri-François DEBAILLEUX, "Les grandes manoeuvres de Roland Schär", in: Libération, 1er février 2000 Jean VIALA, "Traces", 1998, in: "Reisesyndrom by", Centre d'art contemporain Palais Besenval, Soleure (CH) Jean VIALA, "Virtualités de la matière", 1997 |
Entrer en peinture par l'huile et le pinceau, dans les années 80, c'est renouer, loin de l'académisme et de la citation, avec la continuité de l'art. C'est absorber du temps pour signifier un nouvel espace de la vision. C'est aussi, au moment où la pensée artistique et idéologique doit se reconstruire avec la perte de sa dimension progressive, où la pensée scientifique intègre réseaux et atomes, éprouver une autre conscience de l'univers. Choisissant une voie traditionnelle par excellence, la peinture figurative, Roland Schär bouleverse aussitôt la représentation réaliste par le détail répété: il peint des Vanités, genre très prisé au XVIIe siècle, se référant à l'homme et à la connaissance, objets et crânes composés en tableaux tragiquement voués à la mort, dont la contemplation évoque la fragilité de la vie. Si l'univers de Roland Schär en retient le thème, l'oscillation entre vie et mort, il en développe le sujet au delà (il inclut l'univers minéral et végétal), et en deça: aucune totalité ne permet plus de résumet la vie, seuls des fragments en sont accessibles. Le carré de la toile devient un cadrage du regard extrayant du chaos un motif dont la répétition révèle l'ordre intime des choses: leur temporalité. Cette plongée dans le monde par le détail permet paradoxalement d'en approfondir la perception et de laisser monter à la surface un espace sans limite où la partie est l'expression du tout, toujours insaisissable. Sa vision quasi scientifique s'élabore par sélection (du motif), par envahissement (de la toile) et par combinaison (des séries). Le sujet est observé simultanément sur plusieurs plans et sous différentes lumières, il est étroitement mêlé à d'autres sujets identiques par forme ou par nature; aucun vide, aucune échappatoire ne permet de l'extraire du continuum, aucune illusion ne permet de l'identifier par différenciation. L'accumulation enchevétrée des mineraux, végétaux, organe ou objets confère à la peinture une qualité hypnotique propre à libérer son sens général, sa nature fondamentale. D'une toile à l'autre, d'une série à l'autre d'étranges correspondances se font jour, émergeant d'une vision intérieure du peintre à même de révéler l'unicité sous-jacente du destin de l'homme et de son univers, sa soumission au temps. Par ailleurs on peut penser au tableau peint par Fernand Léger en hommage à Cézanne Les Nus dans la Forêt où les arbres et les hommes sont unis formellement par une spatialité organique commune révélée par le chatoiement des couleurs. Chez Roland Schär la couleur est le lien entre les choses, elle traduit le temps et sa mise en scène par touches d'ombre et de lumière alternées. Sa peinture est constituée d'esquisses saisies sur le vif - le temps en ses instants - se surposant en couches pour une exécution lentre, suscitant un tremblement de la vision à même de contribuer à la fonction méditative et philosophique de la peinture. Accumulées, saturées, les couleurs s'entrechoquent en un violence retenue jusqu'à l'acidité ou encore se patinent jusqu'à l'ultime moment, juste avant le gris. Ce sont des couleurs instables, liées à l'usure, jaunes, bleues et vertes; effet du temps suspendu artificiellement par la peinture. L'essence des choses est fugace, leur apparence mouvante, elles palpitent rythmiquement entre vie et mort, pouls d'énergie du monde. L'heure donnée par l'artiste est midi ou minuit moins cinq, juste avant le bouleversement essentiel, la disparition inéluctable, attendue.
Didier ARNAUDET, "La peinture en flagrant délit de surgissement", in: Catalogue d'exposition Scène Nationale, Albi (F), 1995
Roland Schär a recours à l'accumultation, à la répétition, à l'interpénétration et appréhende la peinture comme un flux qui entraîne éboulis et détritus. Ce flux travaille un matériau complexe: la multiplication infinie des marchandieses, l'obsolescence accélérée et le mode de perception caractéristique d'une époque qui ne repose plus sur une différenciation du beau et du laid, de l'ordre et du chaos, du natruel et de l'artificiel, du culturel et du pripitif, du centre et de la périphérie. Mais Roland Schär ne revendique pas autre chose qu'un angre de vision. Sa peinture s'écarte donc de toute idée de purgation, de toute fonction critique. Elle implique une mise en scène, traverse l'obstacle et la représentation et organise une stratégie de glissades et de téléscopages non pas dans la surenchère mais dans la saturation, non pas comme une coulée lisse de significations mais comme un champ accidenté, surchargé d'informations et d'interférences. Cette peinture ne compte donc que sur ses propres forces: celles de ses additions ossifiantes, de son hétérogénéité, celle de sa décharge pulsionnelle, hors de toute valorisation, de toute fétichisation.
Roland Schär amasse, enchvêtre des objets, des procédures descriptives, des références et façonne ainsi une sorte d'inventaire qui pourrait laisser croire qu'on a affaire à un processus de découverte et d'exploration. Mais, dans sa peinture, rien n'est jamais à découvrir. Tout l'ensemble des éléments, des données est déjà censé être là, en bloc, disponible. Le questionnement n'est pas ici quête de vérité, recherche de certitude, mouvement vers un dévoilement mais passage de l'amas, du dépôt à un tressage ordonné de couleurs, de formes et d'espaces. Ce qui compte, c'est le découpage et la délimitation d'un territoire déterminé et sa redistribution dans un agencement de spécifications et de clarifications aussi affinées et ramifiées que possible. Le réel, ou du moins la connaissance que nous avons quelque chance d'en avoir au travers de cette approche, apparaît non pas comme englué, mais au contraire comme enserré dans une grille, balisé, quadrillé de façon implacable. Même si sa substance essentielle renvoie à l'indifférence de la société actuelle à l'égard de la réalité esthétique, cette peinture ne s'arrête pas à une focalisation contemporaine. Roland Schär ne dissimule pas tout le matériau venu de la tradition avec lequel il travaille et entre en un singulier dialogue aux modalités multiples: emprunt et variation, identification ou imprégnation. Ce dialogue ne se contente pas de restituer les fragments d'une mémoire mais en vérifie la validité des implications dans une peinture activée par une sollicitation permanente à mobiliser son énergie et à rivaliser d'ingéniosité avec ses contradictions et ses résistances. La tradition et la modernité se proposent comme des nappes et des strates d'intensité qui, par effet de réciprocité et de miroir, participent conjointement à la structuration du propos pictural. Roland Schär est attentif aux parcours, aux traces, aux passages d'un espace dans un autre, d'un registre à un autre, aux frontières envisagées plus comme lieux de passage que comme limites, aux déplacements des repères et des discours. Plus que des ruptures et des basculements, il a le souci des glissements, des réemplois, des translations. Dans sa peinture, tout est embarquement, entassement, emballement et transport. Tout prend la forme d'un voyage qui s'inscrit dans l'imaginaire de prérérence au conceptuel. Cette image de voyage n'est pas là comme aimable métaphore d'un dépaysement mais touche au ressort même d'une bifurcation et aussi, plus étrangement, d'une nécessaire fraîcheur. Roland Schär prend en quelque sorte la peinture en flagrant délit de surgissement pour déceler à la fois les principes de son fonctionnement et le système des leurres sur lequel elle repose. Roland Schär combine des éléments, des genres et des registres disparates, voire contradictoires, qu'il démultiplie ou schématise. Cette technique du mélange repose sur les règles strictes du tressage et du tissage. Sa peinture s'impose comme un réseau serré, contrôlé d'objets, de figures, de signes, de bandes, de rythmes et de noeuds où s'entrelacent la puissance syntaxique de l'organisation d'un tableau classique et la danse inspirée d'un dripping, la méditation mélancolique des "vanités et la consommation comme appropriation passive, l'idée d'ensemble, de tout, d'unité et les notions d'accident, de fragment et de détail. Cette vitalité quelque peu exubérante la situe dans une proximité avec l'hybride qu'André Chastel désigne comme "la forme qui confond, avec un sentiment aigu du caprice et du jeu, l'image des espèces, combinant le vivant et l'inanimé, le végétal et l'animal, le bestial et l'humain en de constantes métamorphoses". Dans cette emblématique imagerie de l'homme suggéré par ses objets, ses résidus et ses reliques, Roland Schär pointe la fragilité du spectacle humain dans un monde conçu comme un théâtre. Entre le remplissage du quotidien et la gestion de la mémoire, nul trajet n'est tracé qu'on pourrait suivre indéfiniment. Comme l'horloge, symbole fréquent au XVIIe du transitoire des choses humaines, qui "bat comme un coeur et cette régularité des pulsations court à travers les engrenages comme si leur sang était de même nature que celui qui court dans les veines des créatures vivantes" (Mario Praz), cette peinture s'apparente aux mécanismes de ce temps "devenu vivant" et témoigne et l'expérience de la précarité qui en découle.
Philippe PIGUET, "Eloge de l'autopsie", in: Catalogue d'exposition Ecole des Beaux-Arts, Lleida (E), 1997
Paraphrasant tout à la fois Borges et Foucault, on pourrait dire des dessins de Roland Schär qu'ils se divisent en: a) ressemblent à un tuyaux b) transpercés c) repliés sur eux-mêmes d) dents de scie e) pareils à des amibes f) monstrueux g) oiseaux en plein vol h) inclus dans la présente classification i) qui s'emmêlent comme des pelotes j) invraisemblables k) faits à la hâte de quelques coups de pinceau d'encre noire l) trois points de suspension m) qui essaient d'écarter le mur n) qui ne ressemblent à rien, ni de près, ni de loin. Son oeuvre procède en effet d'un principe déclinatoire qui vise tant à l'amplification diffuse de formes matricielles qu'à leur organisation en ensembles et en partitions dans cette qualité de pensée chère à l'écrivain comme au philosophe. Pour l'essentiel fondée sur le dessin, cette oeuvre connaît elle-même toutefois des déclinaisons plastiques, peintes ou sculptées, qui la confortent à l'ordre d'une permanente métamorphose, condition nécessaire et suffisante à sa propre involution. Les dessins de morphings qui en constituent le fonds - ainsi que Roland Schär les appelle, employant la forme progressive pour bien marquer le caractère dynamique de leur émergence - sont réalisés chaque fois à partir de quatre objets sans identification précise, donc inqualifiables, "un pour chauque direction de l'espace: haut, bas, droite, gauche", et du jeu de relations qui esistens entre eux. Dans un désordre certain qui est le fait de toute génération sinon spontanée du moins libre, il en résulte tout un monde d'entités insolites, sortes d'images primordiales, innées, totalement méconnues, qui appellent la nécessité d'un classement. De vieilles planches anatomiques à la reprodution de fragments d'écorchés servent alors à l'artiste comme images référentielles pour caractériser chacune des catégories de formes dans lesquelles il inscrit ses dessins. Le recours à cet appareil encyclopédique confère à se démarche une connotation savante dont Schär exploite l'ambiguité non pour leurrer l'entendement du regardeur mais pour que celui-ci exerce son sens critique au regard d'un nouvel inventaire. Ce faisant, Roland Schär vise à mettre en question ce qu'il en est de nos habitudes perceptives quant aux notions de gestion, de classement et de références si chères aux esprits cartésiens que nous sommes. Son art contribue ainsi à alimenter le débat sur "la vérité de l'image" dans ses rapprots de dépendance à "la véracité de sa rubrique" tel qu'en parle Gombrich dans L'art et l'illusion au chapitre intitulé "Le stéréotype et la réalité". La question qu'il y soulève des "limites de la ressemblance" illustre très exactement les préoccupations de l'artiste quant à la mise en valeur des régions de dissemblence qui caractérisent tel dessin de morphing par rapport à tel autre, tel groupe de formes par rapport à tel autre. Le jeu prolifératoire des formes qui règle le fonctionnement de l'oeuvre de Roland Schär fait écho à la liberté avec laquelle l'artiste joue tant des associations de mots qui prétendent les justifier que des analogies plastiques qui paraissent les avérer. Il y va en fait tout simplement d'une formidable disponibilité de la forme à s'informer, c'est-à-dire à prendre corps aux lieu et place de son émergence. Le corpus qu'il établit de la sorte s'offre d'ailleurs à voir comme une espèce de grand tableau scientifique des possibles de la forme, voire comme le tableau anatomique de la peinture elle-même. A tout le moins comme une grande table de dissection sur laquelle on déposerait - ou exposerait? - ses organes révélés. Ce que Roland Schär organise en donnant corps à ses dessins en les informant de façon hypothétique dans le corps d'une matière cireuse ou savonneuse familière d'un irresistible toucher. La sculpture, on le sait, est affaire d'altérité. L'avènement récent dans le développement de son travail de ces grands dessins à l'encre de Chine, exécutés sur film plastique, a conduit l'artiste à l'expérience d'une véritable plongée dans la matière. A vouloir anatomiser la peinture, il advient un moment sublime qui ne peut être appréhendé que dans un dépassement. Celui qu'opère cet ensemble de particules délivre non point le secret contenu dans la forme mais le flux qui l'anime à l'échelle de l'infiniment petit, au niveau même de l'atome. Il en résulte comme une coulée de signes microscopiques qui envahissent le regard, en débordant tout repère, étrangers à toute considération d'espace et de temps dans cette manière de liberté où ils émergent tout à la fois insaisissables et innommables. A la dérive en quelque sorte, sans autre but que de recouvrir un champ, que de déterminer une étendue. Qu'il s'agisse des dessins de morphing, de ces peintures d'accumulations d'objets, de ces incisions effectuées à même la peau du mur, de ces organes sculptés ou des ces mouvements de particules, l'art de Roland Schär qui procède d'une mise à vif de la peinture, le moment après quand il l'a opérée, relève somme toute du désir d'y voir de ses propres yeux.
Martin KRAFT, "Die fünfte Himmelsrichtung", in: Ausstellungskatalog Umspannwerk/Kunstmuseum Singen (D), 1997 Während das Umspannwerk einst das Zentrum eines Spannungsfeldes bildete, erzeugt Roland Schär ein solches innerhalb des Hauses, mit Eingriffen an verschiedenen Orten in ihm. Seine Orientierungstische sind jenen oft mit einem Fernrohr kombinierten, die wir ebenfalls an beliebten Aussichtspunkten finden, nachempfunden. Doch sie ermöglichen, wo sie sich nicht oder nicht eindeutig betreten lassen, höchstens den Blick nach innen; und ohnehin sind auf ihnen nicht die Profile ewiger Berge verzeichnet, sondern Symbole der Vanitas, die uns auf unsere eigene Vergänglichkeit verweisen. Wenn wir die wirkliche Reise in die Innenstadt von Singen antreten, macht uns dort ein weiterer Tisch die Aktualität solcher Orientierungs- und Standpunktlosigkeit angesichts eines Ueberangebots oft entbehrlicher Konsumgüter noch bewusster. Eine vertikal durchs ganze Haus führende Streifenzeichnung wirkt wie ein Aufbrechen seiner Wände, macht, an unerwarteten Orten wieder auftauchend, seinen Aufbau als höchst unsichere Ordnung bewusst. Die hintereinander gestaffelten Wandzeichnungen des "Partikelraums" dynamisieren ihn und lösen seine Konturen mit sich verdichtenden chaotischen Strukturen, die auch als eine Art Schneegestöber lesbar sind, auf, verleihen ihm mit der Farbperspektive der traditionellen Landschaftsmalerei grössere Tiefe. Eine Reihe von Zeichnungen nimmt das Rundformat des Fernrohrblicks auf, mit einem irritierenden Kippeffekt, denn wir wissen nicht recht: Ist es etwas Grosses, das wir da von ferne, etwas Kleines, was wir von ganz nah erkennen - astronomischer Blick ins nächtliche All oder mikroskopischer in eine Kleinlebewelt? Die auf dem "Hypothesentisch" ausgebreiteten Seifen- und Wachsobjekte schliesslich vermitteln in ihren schwer deutbaren Formen eine typische Reise-Erfahrung: die Begegnung mit einer unverständlichen Kultur, die sich uns aus der gegenseitigen Zuordnung repräsentativer, aber zunächst nicht benennbarer Gegenstände allmälich erschliesst. Auch an Körperorgane mögen wir erinnert werden: an unsere eigenen inneren, die wir als Teil von uns selber doch nie zu Gesicht bekommen.
Joachim SCHWITZLER, "Reisen als fundamentaler Aspekt", in: Ausstellungskatalog Umspannwerk/ Kunstmuseum Singen (D), 1997 Eine Gruppe von Faktoren oder ähnlichem, deren gemeinsames Auftreten einen Bestimmten Zustand anzeigt, kennzeichnet ein Syndrom. So definiert es das Lexikon. Beim Reisesyndrom von Reto Emch, Roland Schär, Pavel Schmidt und Richard Tisserand rekrutieren sich diese Merkmale aus den Bereichen der Inspiration, Motivation und Sozialisation. Jeder Künstler schöpft aus seinen Reisen zahlreiche Ideen. Die Reise ist als Fortbewegung von A nach B und als wirtschaftlich notwendiges Kriterium hauptsächlich zweckorientiert, ohne jedoch ihre Fluchtkomponente völlig ausschliessen zu können. Der Aspekt der Freundschaft und des im eigenen Ich verorteten Zentrums nimmt bei allen eine existenziell herausragende Funktion ein. Augenscheinlich ist daneben auch, dass ihre Reisen nicht bloss Verbindungsglied zwischen den Orten ihrer Kunst sind, sondern dass sie als Mitterliferant und Materialgeber im künstlerischen Prozess zugleich eine Eigendynamik entfalten.
Jean VIALA, "Virtualités de la matière", 1997
Peut-on oblitérer la solution de continuité qui distingue les objets les uns des autres? Comment abolir l'espace qui les sépare? Au-delà de cette approche spatiale, l'artiste explore ici une autre dimension de l'identité des objets: celle de leurs hybridations. En d'autres termes, on peut considérer que deux objets sont séparés par l'espace qu'il y a entre eux - mais on peut aussi penser qu'ils sont reliés par leurs différentes hybridations. Dans ses "morphings", Roland Schär balise cet espace abstrait des dérivations de quatre objets distincts choisis pour le sens de leur confrontation. Les objets métis résultant de l'exploration de l'homogénéité de ces différents espaces lacunaires sont alors reclassés par l'artiste (en utilisant par exemple comme critère discriminant des formes tirées de planches anatomiques) dans des familles dont la syntaxe décèle au sein même de cet espace de nouvelles structures qui viennent questionner notre perception autant que notre connaissance des objets initiaux. La série des "émergences" vient prolonger ce travail en approchant l'objet en formation: de ce tissu conjonctif, de ce soma duquel relèvent les objets et leurs hybridations, se révèlent des formes, se dessinent des contours. Dans l'opacité laiteuse de cette matière labile, en constante mutation, des agglomérats grenus se cristallisent, des modelés hyalins coagulent. La matière ne se présente plus ici sous ses occurences, mais sous ses virtualités.
Jean-Marc HUITOREL, "La migration des formes", in: Catalogue d'exposition Le Parvis, Ibos/Tarbes, mars 1998
Table d'Hypothèses
Dès ses premières oeuvres au début des années 90, Roland Schär revendique clairement son choix de la peinture. De l'huile sur toile avec des titres et des descripteurs qui se référaient avec une certaine ostentation au domaine de la peinture classique: vanité, quadriptique, par exemple. Il s'agit en effet bien de vanités, à tout le moins de natures mortes, sous la forme d'objets accumulés, comme jetés en vrac, un amoncellement si dense qu'à la surface seule des choses la lumière peut s'accrocher. Entre eux, c'est la nuit et l'absence d'air, d'autres objets soupçonnés, le soupçon également d'un possible butoir du monochrome. Les titres, outre le mot Vanité, comprennent, entre parenthèses, un second terme, plus précis, certes, mais qui, néanmoins, correspond à une sorte de catégorie générique, un chapitre d'encyclopédie: (les objets), (la sexualité), (le monde)É Le carré final résulte de l'assemblage de quatre tableaux, carrés eux aussi. Déjà la dialectique des parties et du tout. Déjà le souci d'une organisation ouverte des fragments. La surface, obtenue par l'accumulation si serré des objets, semble montrer la synthèse de tout ce qui, en fait de peinture, a marque si contradictoirement le siècle: dessin précis, assemblage qui, entre l'analyse et l'expression, se réclame tout autant de Pollock, de sa rage patiente d'absorber le all over du tableau. C'est un dripping de dessins, un geste tellement démultiplié, à ce point décomposé dans la précision des détails qu'il témoigne de ce double mouvement, de cette contradiction qu'on croyait insoluble entre la rigueur du dessin et l'emportement du geste. Un peu plus tard, dans l'ensemble Handle with Care (1995), au titre subtilement ironique, Roland Schär utilise des cartons d'emballage comme support et différentes techniques, principalement de l'acrylique, comme médium. Du point de vue chromatique, c'est le noir et blanc qui domine, comme s'il avait souhaité réduire au maximum les effets de couleurs afin que subsistent seuls les objets et l'espace qui les sépare. Il s'agit cependant toujours d'un inventaire chaotique du monde, d'un lieu improbable, quelque part entre la décharge publique et la caverne d'Ali Baba. C'est par-dessus tout une reprise en compte de cette part insigne du destin de la peinture qui est d'envisager le monde. Cet envisagement, nombre d'artistes contemporains s'y attachent. C'est même en cela que réside le plus vivant de l'art d'aujourd'hui, dans cette nouvelle expérimentation du monde menée par une infinité de moyens. Mais là où l'entreprise de Roland Schär fait montre de singularité, c'est quand il choisit pour ce faire la peinture; mieux, la peinture en son exigence originelle, en sa mission primitive. Ce qui se tente ici, dans une totale adéquation aux préoccupations de l'époque, relève, malgré les différentes formes que cela va prendre, malgré l'éventuel renoncement au médium, d'une stricte aventure pricturale. Au gré des investigations qu'il va mener bientôt, toujours Roland Schär revient au corpus établi par les peintures du début, c'est-à-dire à la notion élargie d'objet. Néanmoins la forme, la méthode d'approche, et partant, la définition de ce qu'il entend par objet vont sensiblement évoluer. C'est cette approche du monde, les différents protocoles qui la rendent possible, que nous allons à présent essayer de décrire. Le travail de Roland Schär se fonde sur une exigence spéculative, comme furent spéculatives les oeuvres de Jorge Luis Borges qu'il cite volontiers ou de Georges Perec. Il se réfère également et non sans raison, à Michel Foucault et à Edgar Morin. Méthode et inventaire. Penser/classer. A Paris, Georges Perec habitait rue Linné. Tous s'exercèrent à nommer puis à ranger. Et dans le même temps, on sait à quel point Perec comme Morin se sont méfié de l'ordre. C'est également au croisement de la fascination de la description et de la suspiscion à l'égard des catégories fixes qu'on peut situer l'entreprise de Roland Schär. La pièce charnière, à ce jour, s'intitule Anatomies. Débutée en 1996, elle reste ouverte, l'artiste se réservant la possibilité de l'augmenter. Entièrement déployée au mur, elle se présente sous la forme d'une cinquantaine de groupes de dessins, chacun épinglé verticalement sous une planche d'anatomie, extraite d'un très bel ensemble de lithographies de la fin du XIXème siècle et trouvé aux Puces. Mais l'artiste adopte également d'autres modalités de monstration. Soit il épingle la planche d'anatomie au-dessus d'une boîte en fer blanc où sont glissés les dessins offerts à la consultation, soit c'est la planche qui se trouve dans la boîte et les dessins épinglés. Ces dessins ne laissent pas d'intriguer. Parfois ils évoquent des formes ou des objets connus mais ils ne leur correspondent jamais vraiment. Ils ne représentent pas. Ils résultent en effet d'un processus étonnant. Aux quatre coins d'une feuille, Roland Schär dessins un objet différent mais parfaitement identifié, le plus souvent banal: un radar, un avion, un coeur et un miroir; une canne, des lunettes, une fleur et une cloche, etc. Puis, d'un objet à l'autre et par tous les chemins (horizontaux, verticaux, diagonaux), il pose les formes intermédiaires de l'évolution plastique (morphing) de l'objet A vers l'objet B, un peu à la manière des glissements des dessins physiognomiques de Le Brun. Ainsi, au centre de la feuille, à l'intersection des diagonales, il obtient un dessin qui est la synthèse des cheminements, qui tient un peut de chacune des quatre formes originelles sans être pour autant réductible à quoi que ce soit. C'est cela qu'il reporte, à la plume, au lavis ou selon d'autres techniques sur des feuilles de différents papiers et de couleurs variables au bas desquelles, parfois en différentes langues, sont inscrits les noms des quatre objets de départ. Ce qui l'intéresse ici, c'est l'espace entre les choses, ce qu'il appelle très joliment "la migration des formes les unes vers les autres". mais il s'agit d'itinéraires souterrains, du corps intérieur et secret de la peinture, quelque chose qui hésiterait entre l'origine et l'aboutissement. Cette question de l'intervalle, de la contreforme, se trouve au coeur des préoccupations des peintre depuis Masaccio et Piero mais personne, à ma connaissance, n'en avait rendu compte de cette manière. Une fois les formes posées, vient le temps des rapprochements et du classements. Cette impossibilité à désigner (objets innommables), Roland Schär la compense par la taxinomie, par la création d'ensembles subjectifs mais qui, tous, reposent sur les parentés formelles. Il obtient ainsi des familles inédites constituant un monde insoupçonné, une sorte d'alternative. Car au-delà du jeu d'invention, il s'agit bien ici d'interroger les catégories admises, celles du langage et de ses conventions en premier lieu, celles aussi de l'idée qu'on se fait des choses, c'est-à-dire de la représentation. Dans cette perspective, l'articulation avec les planches anatomiques fonctionne comme une métaphore, comme l'image même de nos représentations conventionnelles, de nos innombrables cartographies, de toutes les apparences que revêt notre appréhension du monde. Cette inscription verticale de formes allusives rappelle étrangement les écritures à idéogrammes et pictogrammes. L'approche opérée par Roland Schär conserve évidemment une part importante de rêverie poétique et sa méthode reste largment subjective et aléatoire. Il se peut, par exemple, que l'ordre des regroupements autant que leur contenu change d'un accrochage à l'autre. Il n'empêche que son intuition peut à juste titre revendiquer une dimension spéculative et en ce sens, la présence des planches anatomiques comme repères de classification a posteriori participe totalement de la logique de l'oeuvre. Cette intuition repose largement sur la conviction qu'entre les choses et entre les gens, plutôt que le vide, gît un potentiel de formes, une réalité mouvante et souple qu'il s'agit d'informer. C'est ce protocole d'information qui sous-tend les autres réalisation de Roland Schär et en tout premier lieu ses Tables d'hypothèses, exemple-type de la volonté d'information que nous évoquions à l'instant. Sur un plateau en alluminium conçu par lui et qui évoque la table de dissection, sont disposées différentes formes réalisées à base de savon, de cire et de parafine. C'est la traduction tridimensionnelle des dessins d'anatomies. Au visiteur de les agencer, de les classer selon ses propres critères: il ne s'en prive pas. Cette réification produit plus de trouble encore que les dessins tant ces objets témoignent de synthèses plastiques autant que d'inconscient formel et culturel, d'anthropologie imaginaire. Ces objets présentés sur la table semblaient provenir d'un monde tout proche mais que l'on n'aurait pas retenu dans les conventions de la représentation. On voit en effet à quel point il frôle le réel officiel quand Roland Schär place sa table à côté de peintures récentes où le contour des choses s'est visiblement atténué par rapport aux tableaux plus anciens, cédant la priorité aux agencements et aux textures. C'est l'idée de ce magma entrevu qui préside à la pose, à même le mur, d'un dessin très étroit et allongé, comme une incision, un geste qui, en ces temps où se tentent de nouvelles figurations, peut être perçue comme un équivalent actuel des incisions modernistes de Lucio Fontana. Cette exploration des interstices, cette investigation du continuum de la réalité, Roland Schär l'étend à de grandes surfaces, des murs entiers qu'il recouvre de minuscules traits d'encre de Chine apposés à l'aide d'une plume de pigeon. L'espace se voit ainsi investi d'une apparence de matière plus ou moins dense, d'un étoîlement de particules qui finit par faire perdre à l'oeil tous ses repères. Cette autre modalité de la surface peinte, qui excède largement la notion même de tableau, apparaît à la fois comme une réflexion sur l'espace et sur la matière de la peinture. Le plan s'y émeut en des perspectives fluctuantes où les effets visuels de l'op art se verraient confrontés à l'expérience de l'in situ. Cette seconde alternative à la perception habituelle, déstabilisante en diable, l'artiste feint de la compenser par la présence toute proche d'une table de désorientation, ronde, en demi-cercle ou bien en S et sur laquelle le visiteur peut lire un certain nombre d'informations gravées sur des plaques de zinc. Mais il ne s'agit là encore, sous des formes variables, que d'énoncés discontinus, nouveaux espaces intermédiaires, nouvelles migrations. Au mur, d'autres intervalles, magmas météorologiques, ciels improbables peints sur des tondos en matière non tissée, comme en écho au rond des tables, au chaos des particules. Si l'on considère que chaque ensemble des travaux de Roland Schär reste un work in progress, on pourrait dire que, tout comme d'autres artistes d'aujourd'hui, il ne peint pas de tableaux récents. Le temps, chez lui, relève plus de l'espace que de la chronologie et quand il aligne les dates, il convient de faire preuve de la plus grande vigilance. Soit l'oeuvre intitulée Forage: creusons l'avenir. Depuis mars 97, Roland Schär utilise des papiers de forme ronde d'environ vingt centimètres de diamètre comme supports de croquis, dessins, notes manuscrites, projets, etc. Le premier remonte au 24 mars, jour à partir duquel il appose au dos de chaque rond une date chronologique. Ce serait parfait s'il ne réalisait qu'un document par jour. Malheureusement, le rythme en est bien plus élevé, si bien, que très rapidement le calendrier s'est emballé et que, par exemple, les derniers ronds, aujourd'hui 6 février, portent une date de 1999. Une partie est déployée à l'horizontale sur le mur, l'autre est placée à la perpendiculaire, comme on range les livres, dans une sorte de gouttière, donnant ici encore la possibilité au visiteur de les consulter. Perturbation de l'espace, agitation du temps; le temps saisi dans l'épaisseur des actes quotidiens, le temps intensifié et non plus étale mais dans un choix au bout du compte aussi crédible que celui des découpages qui rythment nos vies: l'épaisseur du temps. Ici, comme depuis l'origine de son entreprise, Roland Schär explore inlassablement ces non-lieux que cache la dictature du topos et qui, révélés par des écrits inédits de peinture, font de cette dernière cela qu'elle n'a jamais cessé d'être: une merveilleuse utopie.
Jean-Marc HUITOREL, "The Migration of Forms", in: catalog Le Parvis, Ibos/Tarbes, march 1998 Since his ealiest works at the beginning of th 90's, Roland Schär clearly lays claim to his choice of medium - oil painting. His oils on canvas described as "quadriptych" or "vanitas" evoke, with a certain boldness, a classic period. That they are indeed vanitas paintings, or, at the very least, "still life" compositions of objects seemingly thrown together haphazardly. The jumble of objects is so dense that the light is only able to catch at the surface of things. In between them it is dark and airless; one guesses at other objects and suspects that herein, possibly, lies the ultimate limits of monochrome. Apart from "vanitas", the titles of his paintings include a term which is places in brackets and which, although more precise than "vanitas", nonetheless refers to a general classification such as is found in the chapter headings of an encyclopedia: (les objets), (la sexualité), (le monde) ... The "quadriptych" is the result of the assembly of four pictures which are themselves square. Here already we see the dialectics between the parts and the whole; we can already see appear the artists concern with a liberal arrangement of the fragments. The surface, achieves through the objects amassed so tightly together, seems to present us with the synthesis of everything which has marked this century, with so much contradiction within the painting domain; defined drawing, assemblage which in its oscillation between analysis and expression evokes, as much as Pollock, a stubborn passion to absorb the "all over" of the painting. It is a "dripping" of drawings, a gesture so fractured, broken down to such a point in its attention to detail, that is testifies to this double movement - thought to be insoluble - that is, the contradiction between the rigour of drawing and the flow of movement. Further on, in the Handle with Care (1995) collection (an ironic title), Roland Schär uses packing cardboard as his canvas and different techniques, mainly acrylic, as his medium. From the chromatic point of view, black and white dominate. It is as if he wished to reduce to the minimum the effects of colour so that the objects and the space which separates them remain alone. Is is still, nonetheless, a chaotic inventory of the world, an unlikely place - somewhere between a public dump and Ali Baba's grotto. Above all he recaptures painting's noteworthy destiny which many contemporary artists adhere to. Indeed today's most dynamic art resides within the expression of such contemplation, in a renewed experience of the world, brought about by an infinite variety of means. The distinctive quality in Roland Schär's work is demonstrated when he chooses painting for that purpose, and further demonstrated when he presents painting in all its original rigour and primitive function. What he is attempting here is a rigourous pictoral adventure, in keeping with the concerns of the time. He does this, despite the different shapes and forms it takes and despite his eventual departure from the medium. Over the course of his subsequent research, Roland Schär comes back to the corpus established through the first paintings, i.e. to the wider concept of the object. Nevertheless, the form, his method of approach and therefore his definition of object evolve noticeably. It is this approach to the world and the different protocols that make it possible, which are described below. Roland Schär's work is based on a speculative rigour, as were those of Jorge Luis Borges', (whom he willingly quotes), or Georges Perec's. He also refers - and not without reason - to Michel Foucault and Edgar Morin: method and inventory; Think/Classify. In Paris, Georges Perec lived in Rue Linné. They all practised naming and classifying and yet it is known to what extent Perec, as indeed Morin, were suspicious of order. It is precisely in this junction between the fascination of classification and the suspicion of fixed categories, that Roland Schär's work can be situated. The turning point, to this day, can be seen in Anatomies. Begun in 1996, it remains "open ended" - the artist reserving the right to add to it. It is desplayed in its entirety on one wall in the form of about 50 groups of drawings. Each one is pinned vetically under an anatomical illustration taken from a very beautiful collection of late 19th century lithographs, found in the flea market. The artist uses other methods of display. Either he pins the anatomical illustration over a white metal box in which the drawings have been placed for viewing; or the illustration is in the box and the drawings are pinned above. These drawings never cease to intrigue. Sometimes, they evoke shapes or familiar objects but they never entirely correspond to them. The drawings are not figurative. They are, in fact, the result of an astonishing process. On each of the four corners of a page, Roland Schär draws a different but perfectly identifiable object, mostly of a banal nature: a radar, an aeroplane, a heart, a mirror; or a walking stick, spectacles, a flower, a bell, etc. He then places, along the lines, (vertical, horizontal, diagonal), which link one object to the other, the intermediary forms of the object's plastic evolution (morphing) from object A to object B. It slightly resemble the shifts in Le Brun's physiognomic drawings. Thus, in the centre of the page at the intersection of the diagonals, Roland Schär obtains a drawing which is the synthesis of these developments. The drawing contains within it something of each of the original four forms, though it cannot itself be reduced to any of these in any way. This is what he transfers onto paper, using pen and ink, wash drawing or using other techniques on coloured papers of different types. At the foot of these, the names of the four starting objects are inscribed, sometimes in different languages. What interests Roland Schär here is the space between things, what he very nicely calls: "the migration of forms from one to the other". It is the world of underground itineraries, the inner secret body of painting, a hesitation between origin and outcome. This question of interval, of counterform lies at the heart of painters' preoccupations since Masaccio and Piere. No-one, however, to my knowledge, has stated it in this way. Once the shapes have been placed, it is time to link and classify them. Roland Schär has made up for the impossibility of naming the objects, (they are nameless objects), through tanonomy: the creation of subjective groupings which all rest on formal relationships. He thus obtains new families, making up a hitherto unsuspected world - a kind of alternative. It is beyond a game of invention. The point, indeed, is to question the accepted categories, those of language and its conventions first of all and then also those respresenting the idea we have of things, that is - the presentation itself. From this perspective, the drawings' connection with anatomical illustrations acts as a metaphor. It acts as the very image of our conventional displays, our countless cartography, of all the illusions which cover up our fear of the world. The vertical inscription of allusive shapes strangely call to mind writing forms which use ideograms and pictograms. The approach used by Roland Schär clearly maintains an important amount of poetic rêverie and his method remains largely subjective and aleatory. It could be, for example, that the grouping order of any piece, as much as its content, may change from one hanging to the next. But his intuition can justifiably demand a speculativ dimension. In this sense then, the presence of the anatomical illustrations as classification guidelines in retrospect entirely pertains to the logic of the work. This intuitive sense rests largely in the belief that it is not a void which lies between things or between people, but rather a potential of forms, a moving supple reality which needs to be advised. It is this process of instruction which underlies Roland Schär's other works: foremost is his Table d'hypothèses, which is typical of the will to inform just mentioned. Different shapes and forms made from soap, wax and paraffin are displayed on an aluminium tray, designed by Roland Schär himself, which is reminiscent of a dissection table. It is the three dimensional translation of the anatomical drawings. It is up to the visitor to put them together, classify them according to his own criteria, which he invariably does. This reification causes even more turmoil than the drawings, since the objects equally testify to the synthesis of the plastic arts, the formal and cultural unconscious, the imaginary anthropology. These objects displayed on the table seem to come from a nearby world, a world which would not, however, be captured through conventional presentation. It can indeed be seen to what point Roland Schär skims official reality when he places his table next to recent paintings in which the contours of things have been visibly softened compared to older paintings - therby giving priority to layout and texture. It is the idea of this glimpsed at jumble of things which governs the placement on the wall of a very long narrow dravins. It is like an incision, it is a gesture which, in this age where new figurations are attempted, may be perceived as a present day equivalent of the modernist incisions of Lucio Fontana. This interstitial exploration, this investigation into the continuum of reality is spread out onto large surfaces - whole walls - by Roland Schär. These are covered with tiny strokes in Indian ink applied with a quill. Space is thereby given the appearance of a material which is dense, (to a greater or lesser extent). It appears star-studded with particles, causing the eye to lose all bearings. This other mode of painted surface, (which well exceeds the concept of painting), appears to be a reflection on space as well as on the subject of the painting. The fluctuating perspectives within the plane is unsettling, where the visual effect of "op art" are confronted with the experience of "in situ". The artist feigns to compensate for this second alternative to normal perception, by placing a round orientation table very nearby, either in a semi-circle orin an S-shape. Upon this table, the visitor can read the informations which has been engraved on zinc plaques. But even here, it is, under different forms, a question of discontinuous sayings, of new intermediary spaces, of new migrations. On the walls, other intervals, meteorological magma, and improbable skies painted on "tondos" made from non-woven material, seem to echo the round tables and the chaotic particles. If one consider that each collection of Roland Schär's works remains a "work in progress", one could say that Roland Schär, like other artists today, does not paint "recent" pictures which rupture with previous themes etc.. Time, with him, is more a question of space than of chronology; and so it is precisely when he lines up dates that the greatest caution should be exercises - as in the work Forage: creusons l'avenir. Since March 1997, Roland Schär has been using circular shaped pieces of paper of about 20 cms in diameter as the stands for sketches, drawings, handwritten notes, projetcs, etc. The first goes back ton 24th March - the day from which he has put a chronological date on the back of each circle. It would be fine if he only produced one document per day. Unfortunately, the rhythm is greater than that: so much so in fact that very quickly the calendar has run on ahead. This means that the latest circles, for exemple, made today 6th February, carry a 1999 date. One part is displayed horizontally along the wall, the other is places perpendicularly to it, as for storing books - in a kind of guttering system. This again gives visitors the possibility to consult them. Spatial disturbance, the unsettling of time. Time is caught in the layers of daily actions. Time is intensified and no longer spread out, but the artist chooses to display it in a way as credible as that in which our lives are sliced into rhythmic compartment and which contributes to the suffocating density of time... Here, Roland Schär tirelessly explores, as he has done since the beginning of his enterprise, the "non-places" which are hidden by the dictates governing "topos". Once revealed, in the unpublished tales of painting, these "non-places" show painting to be - as it has never ceased to be - a marvellous utopia.
Jean VIALA, "Traces", in: Centre d'art contemporain Palais Besenval, Soleure (CH) Depuis sa série de Vanités (peintures d'accumulation d'objets, 1994/95), le travail de Roland Schär se développe autour d'une réflexion sur la peinture. Son exploration des " espaces intermédiaires ", qui s'est concrétisée dans ses expériences de création et de classement d'objets métis (Anatomies, 1996; Table d'hypothèses, 1997; Tables de désorientation, d'introspection et de migrations, 1997/98) ou dans ses Incisions (1996, dessins in situ de mise à nu d'une profondeur imaginaire du mur), s'est poursuivie dans des recherches sur la présence de la matière (avec des oeuvres murales in situ comme les Particules, 1997/98, ou les tondos de grand format de la série des Intervalles, 1997/98). Parallèlement, son work in progress Forage: creusons l'avenir questionne le rapport de la peinture au temps (quel est le temps de la peinture? comment s'inscrit-elle dans le temps? qu'est-ce qu'une peinture du temps?). Le travail que Roland Schär montre à Soleure s'élabore à partir de peintures - Le petit déjeuner, de Boucher; L'autoportrait à l'oreille coupée, de Van Gogh; L'Olympia, de Manet; ou Le portrait de la Duchesse d'Albe, de Goya, par exemple - dont il isole certains éléments structuraux qui s'imposent alors avec une existence autonome en dehors du système de représentation. Le sujet se brouille, et le retrait des figures laisse apparaître des plages rassemblant des éléments disparates de l'oeuvre, à l'intérieur même d'un personnage, ou entre ce dernier et des parties de son environnement. Le regard de Roland Schär sur l'oeuvre source en élimine la dimension discursive au profit d'éléments inattendus de composition, sans pour autant s'attacher à son analyse critique. Les territoires qu'il y dessine se forment par analogie, perméabilité, ou contamination plutôt que selon une logique explicative. Les champs picturaux ainsi produits se présentent sous forme de vacuoles délimitées à partir des personnages dont il forment alors en quelque sorte une signature plastique. Détachées et reportées par une technique de pochoir sur des plaques de plexiglas, les formes dessinées - halos qui irradient l'opacité de la matière - apparaissent comme les traces de ces personnages dans la matière picturale. Monochromes, ces empreintes quasi radiographiques renvoient, avec une acuité d'ordre médiumnique, à des présences insoupçonnées sous-jacentes aux oeuvres sources, concrétisant cet espace intermédiaire qui relie le sujet de la peinture (la figure) à son objet même (" un assemblage de couleurs sur une surface plane "). Jean Viala, Août 98
Clémence de BIEVILLE, "Mémoires - paysages intérieurs", in: catalogue de l'exposition Bex&Arts, Bex (CH)
Roland Schär dispose l'ordonnance de ses tables entre l'ombre d'un thuya et celle d'un châtaignier. Toutes les trois sont montées sur un simple piètement en acier et leurs plateaux sont couverts de feuilles de zinc gravées à l'eau-forte. La table d'introspection, comme un anneau fermé, dirige l'oeil vers son centre, un cercle vide et clos. La table de désorientation, comme un anneau rompu, ouvre au contraire l'horizon. L'acide a mordu sur la surface de ces deux tables, y révélant un profusion de motifs étrangement quotidiens: mains, téléphones, poissons, sabliers ou bracelet-montres. La table des migrations a la forme sinueuse d'une conversation. Elle oblige le regard à des directions opposées et sa surface est griffée de symboles obscurs.
Henri-François DEBAILLEUX, "Les grandes manoeuvres de Roland Schär", in: Libération, 1er février 2000 Sur la table, de genre dissection, Roland Schär a installé une vingtaine de formes hybrides, issues de morphings d'objets quotidiens. Des formes familières, organiques, qu'on ne peut nommer car inédites, mais qu'on peut bouger, toucher et sentir puisqu'elles sont réalisées en cire et en savon. Sur les murs, on retrouve d'autres formes, mais cette fois dessinées à la mine de plomb (donc grises) ou des sanguines (donc rouges) sur des petites feuilles de papier-calque épinglées et disposées en réseau. Elles évoquent des sortes d'articulations , de rotules, de tendons, mais là encore il s'agit de formes intermédiaires qui s'enchaînent les unes aux autres selon un principe de concaténation (marabout-bout-de-ficelle-de...). L'ensemble est titré "Elaboratoire" et montre de belle manière la démarche de Roland Schär (né en 1959 à Zurich, il vit à Paris) axée sur l'identité d'une forme, sur ses déformations et sur la tentative de cartographier ses migrations dans des arborescences et réseaux complexes. Sur fond d'aléatoire et de processus évolutif.
Jean VIALA : exposition à l'Ambassade de Suisse, Paris Les dessins sur calques sont une suite du travail de Roland Schär sur les formes hybrides. Ces formes sont élaborées à partir des formes d'objets quotidiens, en considérant que ce qui sépare les objets, ce n'est pas un vide, mais un potentiel de nouvelles formes qu'il s'agit à révéler. Chacun des dessins qui sont tracés sur les deux faces des deux calques composant chaque uvre représente une étape intermédiaire de la migration d'une forme vers une autre. C'est maintenant dans l'épaisseur même des calques qu'apparaît la diachronie de ce processus de transformation. La superposition des strates de cette évolution interroge alors l'identité même de chaque forme en laissant deviner la pluralité qu'elle porte en elle. Jean Viala
Henri-François Debailleux, "Fondu enchaîné", Libération, 9 octobre 2002 Séries récentes de l'artiste Roland Schär, galerie Kahn, Strasbourg Quels que soient les supports, très divers, qu'il choisit aussi bien pour leur force évocatrice que plastique, Roland Schär attaque toujours de frond les notions d'entre-deux, d'intermédiaire, d'articulation. C'est ce que montre très bien cette exposition constituée de plusieurs séries d'oeuvres récentes: les peintures sous plexiglas, titrées Traces, montrent ainsi l'état de mémoire et d'incertitude d'une forme humaine, entre apparition et disparition; les Bribes évoquent des fragments d'objets incertains dans des espaces intermédiaires; des dessins au graphite sur papiers-calque superposés suggèrent des figures en pleine mutation ou hybridation; la Table d'hypothèses réunit des objets, hybrides eux aussi, issus de morphings d'objets quotidiens, etc. Autant de sujets qui permettent à l'artiste (né en 1959 à Zurich, il vit et travaille à Paris) de saisir joliment les moments de passage liés à des situations arborescentes et aléatoires.
Marta Jakimowicz-Karle, "Elusive trails", Deccan Herald, October 28, 2002, Bangalore, India The elusiveness of nature and state of everthing perceived turns for Roland Schär into the subject-matter itself. The exhibition's titleh conveys that as "Spaces of Absences, Species of Presences3. Although seemingly defined, this intangible aim belongs to almost all art - to capture the essence of relationships, of auras emanated by people, objects and environnements, by processes and their reflection in everything else including the artist's feeling mind. Schär stays with the most general and the most abstract. His idiom understandably then, comes from the Minimalist stock. We have here as though an impersonal, cool material of smooth plexiglass used in series of multiplied rectangular formats. On it, or rather in it, he paints his ephemeral images, in fact, merely their traces. His Minimalism, however, departs from the canonic. The translucence of the works which are mainly as small as postcards, can be associated with the indifference of photography, even the digital media. On the other hand yet, it allows a fineness of execution, where the luminous depth of the background and the substance can further emphasise the soft nuances over hardly suggested forms, till those gain a sense of imperceptible changing and continuous vacillation. As a result, the paintings in a manner acquire a touch of the intimate. The semi-transparent matter interacts towards a mutual enhancement with the faint, milky grayish blue tones of the works. It does so with ther pervasive, though muted, light. The images in one cycle hint at human figures in motion. Largely abstract, they only allude to the body by a fragmentary curve, a bend or a movement familiar from how people look and behave. In other cycles the artist deals with domestic interiors, spaces amid walls and open atmosphere, with landscapes, also with less recognisable shapes which appear to sometimes verge on the organic, the marine, the plasmatic and the atmospheric, even cosmic. If one has named references of these apparitions, it hardly means their apparitions, it hardly means their specificity here. To the contrary, in most instances Schär restricts himself to utter traces of phenomena more than things. Schär succeeds best when he balances gentle indications of a type identity with elusiveness expressed in abstract terms, like the image of a bedroom.
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