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roland schär

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"handle with care" - scène nationale - albi (mai/juillet 1995)

 

    Didier ARNAUDET, "La peinture en flagrant délit de surgissement", in: Catalogue d'exposition Scène Nationale, Albi (F), 1995

    Roland Schär a recours à l'accumultation, à la répétition, à l'interpénétration et appréhende la peinture comme un flux qui entraîne éboulis et détritus. Ce flux travaille un matériau complexe: la multiplication infinie des marchandieses, l'obsolescence accélérée et le mode de perception caractéristique d'une époque qui ne repose plus sur une différenciation du beau et du laid, de l'ordre et du chaos, du natruel et de l'artificiel, du culturel et du pripitif, du centre et de la périphérie. Mais Roland Schär ne revendique pas autre chose qu'un angre de vision. Sa peinture s'écarte donc de toute idée de purgation, de toute fonction critique. Elle implique une mise en scène, traverse l'obstacle et la représentation et organise une stratégie de glissades et de téléscopages non pas dans la surenchère mais dans la saturation, non pas comme une coulée lisse de significations mais comme un champ accidenté, surchargé d'informations et d'interférences. Cette peinture ne compte donc que sur ses propres forces: celles de ses additions ossifiantes, de son hétérogénéité, celle de sa décharge pulsionnelle, hors de toute valorisation, de toute fétichisation.

    Roland Schär amasse, enchvêtre des objets, des procédures descriptives, des références et façonne ainsi une sorte d'inventaire qui pourrait laisser croire qu'on a affaire à un processus de découverte et d'exploration. Mais, dans sa peinture, rien n'est jamais à découvrir. Tout l'ensemble des éléments, des données est déjà censé être là, en bloc, disponible.

    Le questionnement n'est pas ici quête de vérité, recherche de certitude, mouvement vers un dévoilement mais passage de l'amas, du dépôt à un tressage ordonné de couleurs, de formes et d'espaces. Ce qui compte, c'est le découpage et la délimitation d'un territoire déterminé et sa redistribution dans un agencement de spécifications et de clarifications aussi affinées et ramifiées que possible. Le réel, ou du moins la connaissance que nous avons quelque chance d'en avoir au travers de cette approche, apparaît non pas comme englué, mais au contraire comme enserré dans une grille, balisé, quadrillé de façon implacable.

    Même si sa substance essentielle renvoie à l'indifférence de la société actuelle à l'égard de la réalité esthétique, cette peinture ne s'arrête pas à une focalisation contemporaine. Roland Schär ne dissimule pas tout le matériau venu de la tradition avec lequel il travaille et entre en un singulier dialogue aux modalités multiples: emprunt et variation, identification ou imprégnation. Ce dialogue ne se contente pas de restituer les fragments d'une mémoire mais en vérifie la validité des implications dans une peinture activée par une sollicitation permanente à mobiliser son énergie et à rivaliser d'ingéniosité avec ses contradictions et ses résistances. La tradition et la modernité se proposent comme des nappes et des strates d'intensité qui, par effet de réciprocité et de miroir, participent conjointement à la structuration du propos pictural.

    Roland Schär est attentif aux parcours, aux traces, aux passages d'un espace dans un autre, d'un registre à un autre, aux frontières envisagées plus comme lieux de passage que comme limites, aux déplacements des repères et des discours. Plus que des ruptures et des basculements, il a le souci des glissements, des réemplois, des translations. Dans sa peinture, tout est embarquement, entassement, emballement et transport. Tout prend la forme d'un voyage qui s'inscrit dans l'imaginaire de prérérence au conceptuel. Cette image de voyage n'est pas là comme aimable métaphore d'un dépaysement mais touche au ressort même d'une bifurcation et aussi, plus étrangement, d'une nécessaire fraîcheur. Roland Schär prend en quelque sorte la peinture en flagrant délit de surgissement pour déceler à la fois les principes de son fonctionnement et le système des leurres sur lequel elle repose.

    Roland Schär combine des éléments, des genres et des registres disparates, voire contradictoires, qu'il démultiplie ou schématise. Cette technique du mélange repose sur les règles strictes du tressage et du tissage. Sa peinture s'impose comme un réseau serré, contrôlé d'objets, de figures, de signes, de bandes, de rythmes et de noeuds où s'entrelacent la puissance syntaxique de l'organisation d'un tableau classique et la danse inspirée d'un dripping, la méditation mélancolique des "vanités et la consommation comme appropriation passive, l'idée d'ensemble, de tout, d'unité et les notions d'accident, de fragment et de détail. Cette vitalité quelque peu exubérante la situe dans une proximité avec l'hybride qu'André Chastel désigne comme "la forme qui confond, avec un sentiment aigu du caprice et du jeu, l'image des espèces, combinant le vivant et l'inanimé, le végétal et l'animal, le bestial et l'humain en de constantes métamorphoses".

    Dans cette emblématique imagerie de l'homme suggéré par ses objets, ses résidus et ses reliques, Roland Schär pointe la fragilité du spectacle humain dans un monde conçu comme un théâtre. Entre le remplissage du quotidien et la gestion de la mémoire, nul trajet n'est tracé qu'on pourrait suivre indéfiniment. Comme l'horloge, symbole fréquent au XVIIe du transitoire des choses humaines, qui "bat comme un coeur et cette régularité des pulsations court à travers les engrenages comme si leur sang était de même nature que celui qui court dans les veines des créatures vivantes" (Mario Praz), cette peinture s'apparente aux mécanismes de ce temps "devenu vivant" et témoigne et l'expérience de la précarité qui en découle.

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