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"vanités" - enac - toulouse (mars/avril 1994)

vanités - huile/toile, 240x240 cm

Jackie-Ruth MEYER, in: Catalogue d'exposition ENAC, Toulouse (F), 1994

    Entrer en peinture par l'huile et le pinceau, dans les années 80, c'est renouer, loin de l'académisme et de la citation, avec la continuité de l'art. C'est absorber du temps pour signifier un nouvel espace de la vision. C'est aussi, au moment où la pensée artistique et idéologique doit se reconstruire avec la perte de sa dimension progressive, où la pensée scientifique intègre réseaux et atomes, éprouver une autre conscience de l'univers.

    Choisissant une voie traditionnelle par excellence, la peinture figurative, Roland Schär bouleverse aussitôt la représentation réaliste par le détail répété: il peint des Vanités, genre très prisé au XVIIe siècle, se référant à l'homme et à la connaissance, objets et crânes composés en tableaux tragiquement voués à la mort, dont la contemplation évoque la fragilité de la vie.

    Si l'univers de Roland Schär en retient le thème, l'oscillation entre vie et mort, il en développe le sujet au delà (il inclut l'univers minéral et végétal), et en deça: aucune totalité ne permet plus de résumet la vie, seuls des fragments en sont accessibles. Le carré de la toile devient un cadrage du regard extrayant du chaos un motif dont la répétition révèle l'ordre intime des choses: leur temporalité. Cette plongée dans le monde par le détail permet paradoxalement d'en approfondir la perception et de laisser monter à la surface un espace sans limite où la partie est l'expression du tout, toujours insaisissable.

    Sa vision quasi scientifique s'élabore par sélection (du motif), par envahissement (de la toile) et par combinaison (des séries). Le sujet est observé simultanément sur plusieurs plans et sous différentes lumières, il est étroitement mêlé à d'autres sujets identiques par forme ou par nature; aucun vide, aucune échappatoire ne permet de l'extraire du continuum, aucune illusion ne permet de l'identifier par différenciation.

    L'accumulation enchevétrée des mineraux, végétaux, organe ou objets confère à la peinture une qualité hypnotique propre à libérer son sens général, sa nature fondamentale. D'une toile à l'autre, d'une série à l'autre d'étranges correspondances se font jour, émergeant d'une vision intérieure du peintre à même de révéler l'unicité sous-jacente du destin de l'homme et de son univers, sa soumission au temps. Par ailleurs on peut penser au tableau peint par Fernand Léger en hommage à Cézanne Les Nus dans la Forêt où les arbres et les hommes sont unis formellement par une spatialité organique commune révélée par le chatoiement des couleurs. Chez Roland Schär la couleur est le lien entre les choses, elle traduit le temps et sa mise en scène par touches d'ombre et de lumière alternées. Sa peinture est constituée d'esquisses saisies sur le vif - le temps en ses instants - se surposant en couches pour une exécution lentre, suscitant un tremblement de la vision à même de contribuer à la fonction méditative et philosophique de la peinture.

    Accumulées, saturées, les couleurs s'entrechoquent en un violence retenue jusqu'à l'acidité ou encore se patinent jusqu'à l'ultime moment, juste avant le gris. Ce sont des couleurs instables, liées à l'usure, jaunes, bleues et vertes; effet du temps suspendu artificiellement par la peinture. L'essence des choses est fugace, leur apparence mouvante, elles palpitent rythmiquement entre vie et mort, pouls d'énergie du monde.

    L'heure donnée par l'artiste est midi ou minuit moins cinq, juste avant le bouleversement essentiel, la disparition inéluctable, attendue.

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